éditions \" à l\'écoute \" , hors commerce

Blaise Cendrars : J'ai encore acheté deux tout petits ouistitis

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J'ai encore acheté deux tout petits ouistitis
Et deux oiseaux avec des plumes comme en papier moiré
Mes petits singes ont des boucles d'oreilles
Mes oiseaux ont les ongles dorés
J'ai baptisé le plus petit singe Adrienne Lecouvreur et l'autre Jean
J'ai donné un oiseau à la fille de l'amiral argentin qui est à bord
C'est une jeune fille bête et qui louche des deux yeux
Elle donne un bain de pied à son oiseau pour lui dédorer les pattes
L'autre chante dans ma cabine  dans quelques jours 
il imitera tous les bruits familiers et sonnera comme 
ma machine à écrire
Quand j'écris mes petits singes me regardent
Je les amuse beaucoup
Ils s'imaginent qu'ils me tiennent en cage
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Tu es plus belle 
que le ciel et la mer
extrait de Feuilles de route, 1924
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Quand tu aimes il faut partir
Quitte ta femme quitte ton enfant
Quitte ton ami quitte ton amie
Quitte ton amante quitte ton amant
Quand tu aimes il faut partir
Le monde est plein de nègres et de négresses
Des femmes des hommes des hommes des femmes
Regarde les beaux magasins
Ce fiacre cet homme cette femme ce fiacre
Et toutes les belles marchandises
II y a l’air il y a le vent
Les montagnes l’eau le ciel la terre
Les enfants les animaux
Les plantes et le charbon de terre
Apprends à vendre à acheter à revendre
Donne prends donne prends
Quand tu aimes il faut savoir
Chanter courir manger boire
Siffler
Et apprendre à travailler
Quand tu aimes il faut partir
Ne larmoie pas en souriant
Ne te niche pas entre deux seins
Respire marche pars va-t’en
Je prends mon bain et je regarde
Je vois la bouche que je connais
La main la jambe l’œil
Je prends mon bain et je regarde
Le monde entier est toujours là
La vie pleine de choses surprenantes
Je sors de la pharmacie
Je descends juste de la bascule
Je pèse mes 80 kilos
Je t’aime
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Couchers de soleil
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Tout le monde parle des couchers de soleil
Tous les voyageurs sont d’accord pour parler des cou-
chers de soleil dans les parages
Il y a plein de bouquins où l’on ne décrit que les couchers
de soleil
Les couchers de soleil des tropiques
Oui c’est vrai c’est splendide
Mais je préfère de beaucoup les levers de soleil
L’aube
Je n’en rate pas une
Je suis toujours sur le pont
A poils
Et je suis toujours le seul à les admirer
Mais je ne vais pas décrire les aubes
Je vais les garder pour moi seul
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Clair de Lune
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On tangue on tangue sur le bateau
La lune la lune fait des cercles dans l’eau
Dans le ciel c’est le mât qui fait des cercles
Et désigne toutes les étoiles du doigt
Une jeune Argentine accoudée au bastingage
Rêve à Paris en contemplant les phares qui dessinent
la côte de France
Rêve à Paris qu’elle ne connaît qu’à peine et qu’elle
regrette déjà
Ces feux tournants fixes doubles colorés à éclipses lui
rappellent ceux qu’elle voyait de sa fenêtre d’hôtel sur
les Boulevards et lui promettent un prompt retour
Elle rêve de revenir bientôt en France et d’habiter Paris
Le bruit de ma machine à écrire l’empêche de mener son
rêve jusqu’au bout.
Ma belle machine à écrire qui sonne au bout de chaque
ligne et qui est aussi rapide qu’un jazz
Ma belle machine à écrire qui m’empêche de rêver à
bâbord comme à tribord
Et qui me fait suivre jusqu’au bout une idée
Mon idée



07/11/2012
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