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SAADI : la flûte, le papillon, la bougie ,traduction par C. BARBIER DE MEYNARD

 

 

 

 

 

 

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La flûte.

Un jouvenceau dont la beauté consumait les cœurs comme des roseaux (neï) avait exercé ses douces lèvres à tirer de la flûte (neï) des sons mélodieux. Souvent son père lui adressait de vifs reproches et jetait l'instrument au feu. Mais un soir, il en écouta les sons avec plus d'attention et se sentit ému et troublé; il dit, et des gouttes de sueur perlaient sur son front : « (J'ai brûlé le roseau) aujourd'hui, c'est le roseau qui me brûle. » — Sais-tu pourquoi les disciples de l'amour, au milieu de leurs danses, lèvent et agitent les mains ? C'est que la porte des effluves divins s'ouvre en ce moment devant eux, et par ce geste inspiré, ils semblent repousser la création entière. Pour avoir le droit de danser en invoquant le nom aimé, il faut que chaque membre de ton corps soit doué d'une vie qui lui est propre. Si habile nageur que tu sois, tu dois te dépouiller de tes vêtements avant de lutter contre les flots. Romps les entraves du respect humain et de l'hypocrisie, c'est la tunique qui gêne les mouvements du nageur. Les séductions de ce monde sont autant de liens qui paralysent tes efforts ; brise-les et tu arriveras au but.

Le papillon.

On disait au papillon : « Pauvre petit, aime qui tu peux aimer, va où tes vœux peuvent être écoutés. Es-tu donc digne d'aimer le flambeau ? Tu n'es pas la salamandre, ne voltige pas autour de la flamme. Dans le combat (de l'amour), il faut un courage à toute épreuve; la chauve-souris se dérobe à l'éclat du soleil. S'il est insensé de lutter contre plus fort que soi, c'est aussi une folie de s'éprendre d'une maîtresse qui ne déguise pas sa haine. Jamais on ne t'approuvera de sacrifier ta vie dans une telle poursuite. Le mendiant qui demande la main d'une princesse est chassé, meurtri de coups et il aime sans espérance de retour. Comment le flambeau qui attire le regard des rois et des princes daignerait-il faire attention à toi ? N'espère pas qu'au milieu de cette noble assemblée il y ait une lueur de pitié pour un être aussi chétif que toi ; il se consume lentement en prodiguant sa lumière, mais à toi, pauvre fou, il réserve la flamme qui dévore. » Ecoutez la réponse du papillon enflammé : « Que m'importe à moi de brûler ! j'ai dans le cœur un foyer ardent comme celui d'Abraham, auprès duquel le feu du flambeau n'est qu'un lit de fleurs (voir ci-dessus note 2). Mon cœur, il est vrai, n'exerce aucune attraction sur cette flamme, c'est elle qui l'attire et qui l'absorbe. Ne croyez pas que je m'y jette volontairement; un désir inéluctable m'y entraîne comme par une chaîne. J'étais loin encore, et avant de sentir le contact de la flamme, je brûlais. Comment me reprocher d'adorer une belle aux pieds de laquelle j'accepte avec joie de mourir ? Savez-vous pourquoi j'aspire ardemment à la mort, c'est que là où cette amie existe, il faut que je cesse de vivre : je me consume parce que l'incendie de l'amour se propage dans un cœur sincèrement épris. C'est en vain qu'on m'engage à choisir une maîtresse de mon rang, et disposée à récompenser mon amour ; donner ce conseil à un amant que la passion affole, c'est dire à l'homme piqué par un scorpion qu'il fasse trêve à ses plaintes. Cessez donc de prodiguer vos exhortations à qui ne peut les entendre ; autant vaudrait recommander une allure modérée au cavalier dont le cheval s'emporte. »

« Quelle ingénieuse pensée se lit dans le livre de Sindibâd (26) : « Enfant, l'amour est comme le feu et le conseil comme le vent ! » Le feu attisé par le vent flambe avec plus d'impétuosité; la panthère redouble de rage sous le trait qui l'a blessée. Tout bien considéré, on a tort de m'engager à vivre avec mes semblables. Il est sage, au contraire, de s'enrichir au commerce des natures d'élite ; rester parmi les siens, c'est gaspiller inutilement sa vie. Le commun des hommes suivent la trace de leurs semblables ; mais les disciples de l'amour marchent d'un pas ferme à l'abîme. Quant à moi, en formant le dessein d'aimer, j'ai renoncé du même coup à la vie. L'amant héroïque est prêt au sacrifice de l'existence ; l'amant timide n'aime que sa propre personne. Puisque la mort est là en embuscade, qui nous épie, mieux vaut mourir victime d'une maîtresse charmante ; puisque le trépas est écrit sur mon front, il me sera plus doux venant de sa main adorée. La mort, hélas ! est la fin de toute chose. N'est-il pas préférable alors d'expirer aux pieds d'une amie ? »

Dialogue du papillon et de la bougie.

Une nuit que le sommeil me fuyait, j'entendis le papillon dire à la bougie : « J'aime, il est donc naturel que je me consume, mais toi, pourquoi répands-tu ces larmes brûlantes? — Amant infortuné, répondit la bougie, on m'a séparée du miel, mon compagnon chéri et depuis que ce doux (schirîn) ami est loin de moi, je brûle comme Ferhâd (27) dans le feu de mes regrets. » Ainsi parlait la bougie et, laissant couler des larmes ardentes sur son pâle visage, elle ajouta : « Imposteur, l'amour n'est pas fait pour toi qui n'as ni la résignation ni la persévérance. Au premier contact de ma flamme tu t'envoles, mais moi je reste et me consume entièrement. Le feu de l'amour effleure à peine ton aile ; vois comme il me dévore et m'anéantit. Fais attention, non pas à la clarté que je répands autour de moi, mais à mon ardeur, à mes larmes brûlantes : tel est aussi Saadi, le sourire est sur ses lèvres, mais un feu intérieur le consume. » — La première veillée de la nuit ne s'était pas écoulée qu'une belle jeune fille au visage de péri vint éteindre la bougie. Celle-ci répandant autour d'elle une noire fumée, ajouta : « Ami, c'est ainsi que finit l'amour. Si tu es au nombre de ses disciples, apprends que la mort seule en éteint la flamme, mais ne pleure pas sur la tombe des victimes qu'il fait et dis : Gloire à Dieu, ceux-là étaient des élus ! » — Si tu aimes avec sincérité, ne redoute pas les souffrances de l'amour et romps, comme Saadi, avec toutes les inclinations mondaines ; le fédaï dévoué accomplit sa mission malgré la grêle de traits qui pleuvent autour de lui. — Je te le dis, ami, ne t'aventure pas sur cette mer sans rivages, mais si tu y vas, plonge résolument au fond de ses abîmes.

 



08/11/2012
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