éditions \" à l\'écoute \" , hors commerce

Victor HUGO (1802-1885) : Chanson de Gavroche et autres poèmes

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Chanson de Gavroche
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Monsieur Prudhomme est un veau 
Qui s'enrhume du cerveau 
Au moindre vent frais qui souffle. 
Prudhomme, c'est la pantoufle 
Qu'un roi met sous ses talons 
Pour marcher à reculons.
Je fais la chansonnette,
Faites le rigodon. 
Ramponneau, Ramponnette, don ! 
Ramponneau, Ramponnette !
Ce Prudhomme est un grimaud 
Qui prend sa pendule au mot 
Chaque fois qu'elle retarde. 
Il contresigne en bâtarde 
Coups d'état, décrets, traités, 
Et toutes les lâchetés.
Je fais la chansonnette,
Faites le rigodon. 
Ramponneau, Ramponnette, don !
Ramponneau, Ramponnette !
Il enseigne à ses marmots 
Comment on rit de nos maux ; 
Pour lui, le peuple et la France, 
La liberté, l'espérance,
L'homme et Dieu, sont au-dessous 
D'une pièce de cent sous.
Je fais la chansonnette, 
Faites le rigodon. 
Ramponneau, Ramponnette, don !
Ramponneau, Ramponnette !
Le Prudhomme a des regrets ; 
Il pleure sur le progrès, 
Sur ses loyers qu'on effleure, 
Sur les rois, fiacres à l'heure, 
Sur sa caisse, et sur la fin 
Du monde où l'on avait faim.
Je fais la chansonnette, 
Faites le rigodon. 
Ramponneau, Ramponnette, don ! 
Ramponneau, Ramponnette !
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NAPOLEON LE PETIT
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Que peut-il ? Tout.
Qu'a-t-il fait ? Rien.
Avec cette pleine puissance,
en huit mois un homme de génie
eût changé la face de la France, 
de l'Europe peut-être.
Seulement voilà, il a pris la France
et n'en sait rien faire.
Dieu sait pourtant que le Président se démène :
il fait rage, il touche à tout, il court après les projets ;
ne pouvant créer, il décrète ; il cherche
à donner le change sur sa nullité ;
c'est le mouvement perpétuel ; mais , hélas !
cette roue tourne à vide.
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L'homme qui, après sa prise du pouvoir
a épousé une princesse étrangère
est un carriériste avantageux.
Il aime la gloriole, les paillettes, les grands mots,
ce qui sonne, ce qui brille, toutes les verroteries du pouvoir.
Il a pour lui l'argent, l'agio, la banque, la Bourse, le coffre-fort.
il a des caprices, il faut qu'il les satisfasse.
Quand on mesure l'homme et qu'on le trouve si petit
et qu'ensuite on mesure le succès et qu'on le trouve énorme,
il est impossible que l'esprit n'éprouve pas quelque surprise.
On y ajoutera le cynisme car, la France, il la foule aux pieds,
lui rit au nez, la brave, la nie, l'insulte et la bafoue !
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triste spectacle que celui du galop, à travers l'absurde
d'un homme médiocre échappé.
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Les Djinns
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Murs, ville,
Et port,
Asile
De mort,
Mer grise
Où brise
La brise,
Tout dort.
Dans la plaine
Naît un bruit.
C'est l'haleine
De la nuit.
Elle brame
Comme une âme
Qu'une flamme
Toujours suit !
La voix plus haute
Semble un grelot.
D'un nain qui saute
C'est le galop.
Il fuit, s'élance,
Puis en cadence
Sur un pied danse
Au bout d'un flot.
La rumeur approche.
L'écho la redit.
C'est comme la cloche
D'un couvent maudit ;
Comme un bruit de foule,
Qui tonne et qui roule,
Et tantôt s'écroule,
Et tantôt grandit,
Dieu ! la voix sépulcrale
Des Djinns !... Quel bruit ils font !
Fuyons sous la spirale
De l'escalier profond.
Déjà s'éteint ma lampe,
Et l'ombre de la rampe,
Qui le long du mur rampe,
Monte jusqu'au plafond.
C'est l'essaim des Djinns qui passe,
Et tourbillonne en sifflant !
Les ifs, que leur vol fracasse,
Craquent comme un pin brûlant.
Leur troupeau, lourd et rapide,
Volant dans l'espace vide,
Semble un nuage livide
Qui porte un éclair au flanc.
Ils sont tout près ! - Tenons fermée
Cette salle, où nous les narguons.
Quel bruit dehors ! Hideuse armée
De vampires et de dragons !
La poutre du toit descellée
Ploie ainsi qu'une herbe mouillée,
Et la vieille porte rouillée
Tremble, à déraciner ses gonds !
Cris de l'enfer! voix qui hurle et qui pleure !
L'horrible essaim, poussé par l'aquilon,
Sans doute, ô ciel ! s'abat sur ma demeure.
Le mur fléchit sous le noir bataillon.
La maison crie et chancelle penchée,
Et l'on dirait que, du sol arrachée,
Ainsi qu'il chasse une feuille séchée,
Le vent la roule avec leur tourbillon !
Prophète ! si ta main me sauve
De ces impurs démons des soirs,
J'irai prosterner mon front chauve
Devant tes sacrés encensoirs !
Fais que sur ces portes fidèles
Meure leur souffle d'étincelles,
Et qu'en vain l'ongle de leurs ailes
Grince et crie à ces vitraux noirs !
Ils sont passés ! - Leur cohorte
S'envole, et fuit, et leurs pieds
Cessent de battre ma porte
De leurs coups multipliés.
L'air est plein d'un bruit de chaînes,
Et dans les forêts prochaines
Frissonnent tous les grands chênes,
Sous leur vol de feu pliés !
De leurs ailes lointaines
Le battement décroît,
Si confus dans les plaines,
Si faible, que l'on croit
Ouïr la sauterelle
Crier d'une voix grêle,
Ou pétiller la grêle
Sur le plomb d'un vieux toit.
D'étranges syllabes
Nous viennent encor ;
Ainsi, des arabes
Quand sonne le cor,
Un chant sur la grève
Par instants s'élève,
Et l'enfant qui rêve
Fait des rêves d'or.
Les Djinns funèbres,
Fils du trépas,
Dans les ténèbres
Pressent leurs pas ;
Leur essaim gronde :
Ainsi, profonde,
Murmure une onde
Qu'on ne voit pas.
Ce bruit vague
Qui s'endort,
C'est la vague
Sur le bord ;
C'est la plainte,
Presque éteinte,
D'une sainte
Pour un mort.
On doute
La nuit...
J'écoute : -
Tout fuit,
Tout passe
L'espace
Efface
Le bruit.
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Voyons, d'où vient le verbe ? Et d'où viennent les langues ?
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Voyons, d'où vient le verbe ? Et d'où viennent les langues ?
De qui tiens-tu les mots dont tu fais tes harangues ?
Écriture, Alphabet, d'où tout cela vient-il ? 
Réponds.
Platon voit l'I sortir de l'air subtil ; 
Messène emprunte l'M aux boucliers du Mède ;
La grue offre en volant l'Y à Palamède ; 
Entre les dents du chien Perse voit grincer l'R ; 
Le Z à Prométhée apparaît dans l'éclair ; 
L'O, c'est l'éternité, serpent qui mord sa queue ; 
L'S et l'F et le G sont dans la voûte bleue, 
Des nuages confus gestes aériens ; 
Querelle à ce sujet chez les grammairiens :
Le D, c'est le triangle où Dieu pour Job se lève ; 
Le T, croix sombre, effare Ézéchiel en rêve ;
Soit ; crois-tu le problème éclairci maintenant ? 
Triptolème, a-t-il fait tomber, en moissonnant, 
Les mots avec les blés au tranchant de sa serpe ? 
Le grec est-il éclos sur les lèvres d'Euterpe ? 
L'hébreu vient-il d'Adam ? le celte d'Irmensul ? 
Dispute, si tu veux ! Le certain, c'est que nul 
Ne connaît le maçon qui posa sur le vide, 
Dans la direction de l'idéal splendide, 
Les lettres de l'antique alphabet, ces degrés 
Par où l'esprit humain monte aux sommets sacrés, 
Ces vingt-cinq marches d'or de l'escalier Pensée.
Eh bien, juge à présent. Pauvre argile insensée, 
Homme, ombre, tu n'as point ton explication ; 
L'homme pour l'oeil humain n'est qu'une vision ; 
Quand tu veux remonter de ta langue à ton âme, 
Savoir comment ce bruit se lie à cette gamme, 
Néant. Ton propre fil en toi-même est rompu. 
En toi, dans ton cerveau, tu n'as pas encor pu 
Ouvrir ta propre énigme et ta propre fenêtre, 
Tu ne te connais pas, et tu veux le connaître, 
LUI ! Voyant sans regard, triste magicien,
Tu ne sais pas ton verbe et veux savoir le sien !
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Paris incendié
(extrait)
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... J'accuse la Misère, et je traîne à la barre 
Cet aveugle, ce sourd, ce bandit, ce barbare, 
Le Passé ; je dénonce, ô royauté, chaos, 
Tes vieilles lois d'où sont sortis les vieux fléaux ! 
Elles pèsent sur nous, dans le siècle où nous sommes, 
Du poids de l'ignorance effrayante des hommes ; 
Elles nous changent tous en frères ennemis ; 
Elles seules ont fait le mal ; elles ont mis 
La torche inepte aux mains des souffrants implacables. 
Elles forgent les noeuds d'airain, les affreux câbles, 
Les dogmes, les erreurs, dont on veut tout lier,
Rapetissent l'école et ferment l'atelier ;
Leur palais a ce gui misérable, l'échoppe ; 
Elles font le jour louche et le regard myope ; 
Courbent les volontés sous le joug étouffant ; 
Vendent à la chaumière un peu d'air, à l'enfant 
L'alphabet du mensonge, à tous la clarté fausse ; 
Creusent mal le sillon et creusent bien la fosse ; 
Ne savent ce que c'est qu'enseigner, qu'apaiser ; 
Ont de l'or pour payer à Judas son baiser, 
N'en ont point pour payer à Colomb son voyage ; 
N'ont point, depuis les temps de Cyrus, d'Astyage, 
De Cécrops, de Moïse et de Deucalion, 
Fait un pas hors du lâche et sanglant talion ; 
Livrent le faible aux forts, refusent l'âme aux femmes, 
Sont imbéciles, sont féroces, sont infâmes ! 
Je dénonce les faux pontifes, les faux dieux, 
Ceux qui n'ont pas d'amours et ceux qui n'ont pas d'yeux ! [...]


26/11/2012
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