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HERMES TRISMEGISTE : paroles d'Isis , extrait , traduction Louis Ménard

 
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.....Ayant ainsi parlé, Isis verse d'abord à Hôros le doux breuvage d’immortalité que les âmes reçoivent des Dieux, et commence ainsi le discours très sacré :
Le ciel couronné d'étoiles est superposé à l'universelle nature, ô mon fils Hôros, et il ne lui manque rien de ce qui compose l'ensemble du monde. Il faut donc que la nature entière soit ornée et complétée par ce qui est au-dessus d'elle, car cette ordonnance ne pouvait aller du bas vers le haut. La suprématie des plus grands mystères sur les plus petits est nécessaire. L'ordre céleste l'emporte sur l’ordre terrestre comme étant absolument fixe et inaccessible à l'idée de la mort C'est pourquoi les choses d'en bas gémirent saisies de crainte devant la merveilleuse beauté et l'éternelle permanence du monde supérieur. Car c'était un spectacle digne de contemplation et de désir, que ces magnificences du ciel, révélations du Dieu encore inconnu, et cette somptueuse majesté de la nuit, éclairée d'une lumière pénétrante quoique inférieure à celle du soleil, et tous ces autres mystères qui se meuvent dans le ciel en périodes cadencées, réglant et entretenant les choses d'ici-bas par d'occultes influences. Et tant que l'ouvrier universel ne mettait pas de terme à celte crainte incessante, à ces recherches inquiètes, l'ignorance enveloppait l'univers. Mais lorsqu'il jugea bon de se révéler au monde, il souffla aux Dieux l'enthousiasme de l'amour, et il versa d'ans leur pensée U splendeur que contenait sa poitrine, pour leur inspirer d'abord la volonté de chercher, puis le désir de trouver. et enfin la puissance de redresser.
Or, mon enfant merveilleux, Hôros, ce n'était pas dans la race mortelle que cela pouvait arriver, car elle n'existait pas encore, mais dans l'âme en sympathie avec les mystères du ciel. C'était Hermès, la pensée universelle. Il vit l'ensemble des choses, et ayant vu, il comprit, et ayant compris, il avait la puissance de manifester et de révéler. Ce qu'il pensa, il récrivit; ce qu'il écrivit, il le cacha en grande partie, se taisant avec sagesse et parlant à la fois, afin que toute la durée du monde à venir cherchât ces choses. Et ainsi, ayant ordonné aux Dieux, ses frères, de lui servir de cortège, il monta vers les étoiles. Mais il eut pour successeur Tat, son fils et l'héritier de ses sciences, et peu après Asclèpios,[2] fils d'Imouthè, par les conseils de Pan et d'Héphaïstos, et tous ceux à qui la souveraine Providence réservait une connaissance exacte des choses du ciel. Hermès donc s'excusa devant tout ce qui l'entourait de ne pas livrer la théorie intégrale à son fils, à cause de sa jeunesse. Mais moi, m'étant levée, j'observai de mes yeux, qui voient les secrets invisibles des origines,[3] et j'appris à la longue, mais avec certitude, que les symboles sacrés des éléments cosmiques étaient cachés près des secrets d’Osiris. Hermès remonta au ciel après avoir prononcé une invocation et des paroles. Il ne convient pas, ô mon enfant, de laisser ce récit incomplet; il faut te faire connaître les paroles d'Hermès lorsqu'il déposa ses livres; les voici : « O livres sacrés des immortels, qui avez reçu de mes mains les remèdes qui rendent incorruptibles, restez à jamais à l'abri de la corruption et de la pourriture, invisibles et introuvables pour tous ceux qui parcourront ces plaines jusqu'au jour où le vieux ciel enfantera des instruments dignes de vous, que le créateur appellera les âmes. » Ayant prononcé ces imprécations sur ses livres, il les enveloppa dans leurs bandelettes, rentra dans la zone qui lui appartient, et tout resta caché pendant un temps suffisant.
Et la nature, ô mon fils, était stérile jusqu'au moment où ceux qui ont reçu l'ordre de parcourir le ciel, s'avançant vers le Dieu roi de toutes choses, lui dénoncèrent l'inertie générale et la nécessité d'ordonner l'univers. Cette œuvre, nul autre que lui ne pouvait l'accomplir. «Nous te prions, disaient-ils, déconsidérer ce qui existe déjà et ce qui est nécessaire pour l'avenir. » A ces paroles, le Dieu sourit, et il dit à la nature d'exister. Et sortant de sa voix, le Féminin s'avança dans sa parfaite beauté; les Dieux avec stupeur contemplaient cette merveille. Et le grand ancêtre, versant un breuvage à la Nature, lui ordonna d'être féconde; puis, pénétrant tout de ses regards, il cria : « Que le ciel soit la plénitude de toutes choses, et l'air et l'éther. » Dieu dit et cela fui. Mais la Nature, se parlant à elle-même, connut qu'elle ne devait pas transgresser le commandement du père, et s'étant unie au Travail, elle produisit une fille très belle, qu'elle appela l'Invention, et à laquelle Dieu accorda l'être. Et ayant distingué les formes créées, il les remplit de mystères et en accorda le commandement à l'Invention.
Et ne voulant pas que le monde supérieur fût inerte, il jugea bon de le remplir d'esprits, afin que nulle partie ne restât dans l'immobilité et l'inertie; et il employa son art sacré à l'accomplissement de son œuvre. Car, prenant en lui-même ce qu'il fallait d'esprit et le mêlant d'un feu intellectuel, il y combina d'autres matières par des voies inconnues. Et ayant opéré l'union des principes par des formules secrètes, il mit ainsi en mouvement la combinaison universelle. Peu à peu, du sein du mélange sourit une matière plus subtile, plus pure, plus limpide que les éléments dont elle était née. Elle était transparente, et l'ouvrier seul la voyait. Bientôt elle atteignit sa perfection, n'étant ni liquéfiée par le feu, ni refroidie par le souffle, mais possédant la stabilité d'une combinaison particulière, ayant son type et sa constitution propre. Il lui donna un nom heureux, et d'après la similitude de ses énergies, il l'appela Animation. De ce produit il forma des myriades d'âmes, employant la fleur du mélange au but qu'il se proposait, procédant avec ordre et mesure, selon sa science et sa raison. Elles n'étaient pas nécessairement différentes, mais celte fleur, exhalée du mouvement divin, n'était pas identique à elle-même; la première couche était supérieure à la seconde, plus parfaite et plus pure ; la seconde, inférieure, à la vérité, à la première, était très supérieure à la troisième, et ainsi jusqu'à soixante degrés fut complété le nombre total. Seulement Dieu établit cette loi que toutes fussent éternelles, comme étant d'une essence unique, dont lui seul détermine les formes. Il traça les limites de leur séjour dans les hauteurs de la nature, afin qu'elles fissent tourner le cylindre selon des lois d'ordre et de sage direction pour la joie de leur père.
Alors, ayant convoqué dans ces magnifiques régions de l’éther les êtres de toutes natures, il leur dit : « Ο âmes, beaux enfants de mon souffle et de ma sollicitude, vous que j'ai fait naître de mes mains pour vous consacrer à mon monde, écoutez mes paroles comme des lois : Ne vous écartez pas de la place qui vous est fixée par ma volonté. Le séjour qui vous attend est le ciel avec son cortège d'étoiles et ses trônes remplis de vertu. Si vous tentez quelque innovation contre mes ordres, je jure par mon souffle sacré, par cette mixture dont j'ai formé les âmes, et par mes mains créatrices, que je ne tarderai pas à vous forger des chaînes et à vous punir. »
Ayant ainsi parlé, le Dieu mon maître mêla le reste des éléments congénères, la terre et l'eau, et prononçant quelques paroles mystiques et puissantes, quoique différentes des premières, souffla dans le mélange liquide le mouvement et la vie, le rendit plus épais et plus plastique, et en forma des êtres vivants de forme humaine. Ce qui restait du mélange, il le donna aux âmes plus élevées qui habitaient la région des Dieux, dans le voisinage des étoiles, et qu'on nomme les Démons sacrés. « Travaillez, leur dit-il, mes enfants, produits de ma nature; prenez le résidu de mon œuvre, et que chacun de vous fabrique des êtres à son image; je vous donnerai des modèles. » Et prenant le zodiaque, il ordonna le monde conformément aux mouvements animiques, plaçant les signes d'animaux après ceux de forme humaine. Et après avoir fourni les forces créatrices et le souffle générateur pour l’universalité des êtres à venir, il se retira, promettant de joindre aux œuvres visibles un souffle (in)visible et un principe reproducteur, afin que chaque être engendrât son semblable sans qu'il fût nécessaire d'en créer sans cesse de nouveaux.[4]
— Et que firent les âmes, ô ma mère?
Et Isis dit : Elles prirent le mélange de la matière, ô mon fils Hôros, et commencèrent à réfléchir et à adorer cette combinaison, œuvre du père, puis elles cherchèrent de quoi elle était composée, ce qui n'était pas facile à découvrir. Alors, craignant que cette recherche n'excitât la colère du père, elles se mirent à exécuter ses ordres. Elles prirent donc la couche supérieure de la matière, celle qui était la plus légère, et eu formèrent la race des oiseaux. La combinaison étant devenue plus compacte et prenant une consistance plus épaisse, elles en firent les quadrupèdes. L'une partie plus dense, et qui avait besoin d'un milieu humide pour y nager, elles firent les poissons. Le résidu, étant froid et pesant, fut employé par les âmes à la formation des reptiles.
Alors, ô mon fils, fières de leur œuvre, elles ne craignirent pas de transgresser la loi, et, malgré la défense, elles s'écartèrent des limites prescrites. Ne voulant plus rester dans le même lieu, elles s'agitaient sans cesse, et le repos leur semblait la mort. Mais, ô mon fils, ainsi que me l'a dit Hermès, leur conduite ne put échapper aux regards du Dieu seigneur de toutes choses; il songea à les punir et à leur préparer de dures chaînes. Le chef et le maître de l'univers résolut donc de fabriquer l'organisme humain pour la punition des âmes; et m'ayant appelé près de lui, dit Hermès, il paria ainsi : « O âme de mon âme, pensée sainte de ma pensée, jusqu'à quand la nature d'en bas restera-t-elle triste? Jusqu'à quand les créations déjà nées resteront-elles inertes et sans louanges? Amène-moi donc tous les Dieux du ciel. » Ainsi parla Dieu, dit Hermès, et tous se rendirent à ses ordres. «Regardez la terre, leur dit-il, et toutes les choses d'en bas. »
Ils regardèrent aussitôt, et comprirent la volonté du prince, et lorsqu'il leur parla de la création de l'homme, leur demandant ce que chacun pouvait donner à ceux qui allaient naître, le Soleil répondit : « Je prodiguerai ma lumière. » La Lune promit d'éclairer après le Soleil. Elle ajouta qu'elle avait déjà créé la Crainte, le Silence, le Sommeil, ainsi que la Mémoire, qui devait être inutile aux hommes. Kronos annonça qu'il était père de la Justice et de la Nécessité. Zeus dit : « Pour épargner des guerres perpétuelles à la race future, j'ai engendré la Fortune, l'Espérance et la Paix. » Arès dit qu'il était déjà père de la Lutte, de l'Ardeur impétueuse et de l'Émulation. Aphrodite ne se fit pas attendre : « Pour moi, dit-elle, ô maître, je leur donnerai le Désir, et j'y joindrai la Volupté et le Sourire, afin que la punition destinée aux âmes nos sœurs ne soit pas trop dure. » Ces paroles d'Aphrodite furent accueillies avec joie, ô mon fils. « Et moi, dit Hermès, je donnerai à la nature humaine la sagesse, la tempérance, la persuasion et la vérité.[5] Je ne cesserai pas de m'unir à l'Invention. Je protégerai toujours la vie mortelle des hommes nés sous mes signes; car le créateur et le père m'a attribué dans le zodiaque des signes de sagesse et d'intelligence, surtout quand le mouvement qui y ramène les astres se trouve en rapport avec l'énergie physique de chacun. »
Le Dieu maître du monde se réjouit en entendant ces choses, et ordonna que la race humaine fût produite. « Pour moi, dit Hermès, je cherchai quelle matière il fallait employer, et j'invoquai le monarque. Il ordonna aux âmes de donner le reste du mélange. Et l'ayant pris, je le trouvai absolument sec. Alors j'employai une grande surabondance d'eau, afin de renouveler la combinaison de matière, de façon que le produit fût résoluble, faible et impuissant, et que la force ne s'ajoutât pas en lui à l'intelligence. J'achevai mon ouvrage, et il était beau, et je me réjouissais de le voir; et d'en bas j'appelai le monarque pour le contempler. Il le vit et fut réjoui. Et il ordonna que les âmes fussent incorporées. Et elles furent saisies d'horreur en apprenant leur condamnation. »
Leurs paroles m'ont frappée. Écoute, mon fils Hôros, car je t'apprends un mystère. Notre aïeul Kaméphès le tient d'Hermès, qui écrit le récit de toutes choses, et moi je l'ai reçu de l’antique Kaméphès, lorsqu'il m'admit à l'initiation par le noir;[6] reçois-le de moi à ton tour, ô merveilleux et illustre enfant.
Les âmes allaient être emprisonnées dans les corps: les unes gémissaient et se lamentaient : ainsi, quand des animaux sauvages et libres sont enchaînés, au moment de subir la dure servitude et de quitter les chères habitudes du désert, ils combattent et se révoltent, refusent de suivre ceux qui les ont domptés, et, si l'occasion s'en présente, les mettent à mort. La plupart sifflaient comme des serpents; telle autre jetait des cris aigus et des paroles de douleur, et regardant au hasard en haut et en bas : « Grand ciel, disait-elle, principe de notre naissance, éther, air pur, mains et souffle sacré du Dieu souverain; et vous, astres éclatants, regards des Dieux, infatigable lumière du soleil et de la lune, notre première famille, quel déchirement et quelle douleur! Quitter ces grandes lumières, cette sphère sacrée, toutes les magnificences du pôle et la bienheureuse république des Dieux, pour être précipitées dans ces viles et misérables demeures! Quel crime avons-nous donc commis, ô malheureuses! Comment avons-nous mérité, pauvres pécheresses, les peines qui nous attendent? Voilà le triste avenir qui nous est réservé, pourvoir aux besoins d'un corps humide et dissoluble. Nos yeux ne distingueront plus les âmes divines. A peine, à travers ces cercles humides, apercevrons-nous en gémissant le ciel, notre ancêtre; par intervalles même nous cesserons de le voir. [C'est la lumière qui fait voir; les yeux par eux-mêmes ne voient rien, dit Orphée].[7] Par notre funeste condamnation, la vision directe nous est refusée; car nous ne pouvons voir qu'à l'aide de la lumière; ce sont des fenêtres que nous avons, et non des yeux. Ce sera aussi une peine pour nous d'entendre dans l'air le souffle fraternel des vents sans pouvoir y mêler le notre, qui aura pour demeure, au lieu de ce monde sublime, l'étroite prison de la poitrine. Mais toi, qui nous chasses et nous fais descendre si bas de si haut, mets un terme à nos peines, seigneur et père, devenu si vite indifférent à tes œuvres; fixe-nous une limite, daigne nous adresser quelques dernières paroles, pendant que nous pouvons encore voir l'ensemble du monde lumineux. »
Cette prière des âmes fut exaucée, mon fils Hôros; car le monarque était présent, et, s'asseyant sur le trône de la vérité, voici ce qu'il leur-dit : « Ο âmes, vous serez gouvernées par le Désir et la Nécessité; ce seront après moi vos maîtres et vos guides. Ames soumises à mon sceptre qui ne vieillit pas, sachez que tant que vous serez sans souillure, vous habiterez les régions du ciel. S'il en est parmi vous qui méritent quelque reproche, elles habiteront le séjour qui leur est destiné dans des organes mortels. Si vos fautes sont légères, délivrées du lien des chairs, vous retournerez au ciel. Si vous vous rendez coupables de quelques crimes plus graves, si vous vous détournez de la fin pour laquelle vous avez été formées, vous n'habiterez ni le ciel, ni des corps humains, mais vous voyagerez désormais dans des animaux sans raison. »
Ayant dit ces choses, ô mon fils Hôros, il leur donna le souffle et parla ainsi : « Ce n'est pas au hasard que j'ai réglé votre destinée; elle sera pire si vous agissez mal; elle sera meilleure si vos actes sont dignes de votre naissance. C'est moi, et non un autre, qui serai votre témoin et votre juge. Reconnaissez que c'est pour vos fautes antérieures que vous allez être punies et enfermées dans les corps. La renaissance sera différente pour vous, comme je vous l'ai dit, dans des corps différents. La dissolution, c'est un bienfait c'est le bonheur d'autrefois. Mais si votre conduite est indigne de moi, votre prudence devenue aveugle et vous guidant à contresens vous fera prendre pour un bienfait ce qui est un châtiment, et redouter un sort meilleur comme une cruelle injure. Les plus justes parmi vous se. rapprocheront du divin dans leurs transformations, et seront parmi les hommes des rois justes, de vrais philosophes, des fondateurs et des législateurs, des devins véridiques, des collecteurs de plantes salutaires, des musiciens habiles, des astronomes intelligents, de savants augures, des sacrificateurs expérimentés, toutes fonctions belles et bonnes; parmi les oiseaux, d'es aigles, qui ne chassent ni ne dévorent ceux de leur espèce et ne laissent pas attaquer devant eux les espèces plus faibles, car la justice sera dans la nature de l'aigle; parmi les quadrupèdes, des lions, car c'est un animal fort, qui n'est pas dompté par le sommeil, qui dans un corps mortel se livre à une gymnastique immortelle, et que rien ne fatigue ni n'endort; parmi les reptiles, des dragons, parce que c'est un animal puissant, vivant longtemps, innocent et ami des hommes; il se laissera apprivoiser, n'aura pas de venin, et, quittant la vieillesse, se rapprochera de la nature des Dieux; parmi les poissons, des dauphins, car cet animal, ayant pitié de ceux qui tombent dans la mer, les portera à terre s'ils vivent encore, et s'abstiendra de les manger s'ils sont morts, quoique étant le plus vorace de tous les animaux aquatiques. » Ayant ainsi parlé, Dieu devint une intelligence incorruptible.
Après cela, mon fils Hôros, il s'éleva de terre un esprit très fort, dégagé de toute enveloppe corporelle et puissant en sagesse, mais sauvage et redoutable.[8] Quoiqu'il n'ignorât pas ce qu'il demandait, voyant que le type du corps humain était beau et auguste d'aspect, et s'apercevant que les âmes allaient entrer dans leurs enveloppes : α Quels sont ceux-ci, dit-il, ô Hermès, secrétaire des Dieux? — Ce sont les hommes, dit Hermès. — C'est une œuvre hardie de faire l'homme, avec ces yeux pénétrants, cette langue déliée, cette ouïe délicate pour entendre même ce qui ne le regarde pas, cet odorat subtil, et dans les mains ce toucher pour s'approprier toutes choses. Ο générateur, juges-tu bon qu'il soit libre de soucis, ce futur explorateur des beaux mystères de la nature? veux-tu le laisser exempt de peines, celui dont la pensée atteindra les limites de la terre? Les hommes arracheront les racines des plantes, étudieront les propriétés des sucs naturels, observeront la nature des pierres, disséqueront non seulement les animaux, mais eux-mêmes, voulant savoir comment ils ont élé formes. Ils étendront leurs mains hardies jusque sur la mer, et, coupant le bois des forêts spontanées, ils passeront d'une rive à la rive opposée pour se chercher les uns les autres. Les secrets intimes de la nature, ils les poursuivront jusque dans les hauteurs et voudront étudier les mouvements du ciel. Ce n'est pas encore assez; il ne reste plus à connaître que le point extrême de la terre, ils y voudront chercher l'extrémité dernière de la nuit. S'ils ne connaissent pas d'obstacles, s'ils vivent exempts de peine, à l'abri de toute crainte et de tout souci, le ciel même n'arrêtera pas leur audace et ils voudront étendre leur pouvoir sur les éléments. Apprends-leur donc le désir et l'espérance, afin qu'ils connaissent aussi la crainte des accidents et des difficultés, la douloureuse morsure de l'attente trompée. Que la curiosité de leurs âmes ait pour contrepoids le désir et la crainte, le souci et l'espérance vaine. Que leurs âmes soient en proie aux amours mutuels, aux espoirs, aux désirs variés, tantôt satisfaits, tantôt déçus, afin que la douceur même du succès soit un appât qui les attire vers de plus grands maux. Que le poids de la fièvre les accable et brise en eux le désir. »
Tu souffres, Hôros, en écoutant le récit de ta mère? L'étonnement et la stupeur te saisissent devant les maux qui s'abattent sur la pauvre humanité? Ce que tu vas entendre est plus triste encore. Les paroles de Mômos plurent à Hermès; il trouva que l'avis était sage et il le suivit : « Ο Mômos, dit-il, la nature du souffle divin qui enveloppe tout ne sera pas inerte. Le maître de l'univers m'a chargé d'être son intendant et son pourvoyeur. Le Dieu au regard pénétrant observera et dirigera toutes choses; [Adrastée.[9]] et moi je fabriquerai un instrument mystérieux, une règle inflexible et infranchissable à laquelle tout sera soumis, depuis la naissance jusqu'à la dernière destruction, et qui sera le lien des choses créées, Cet instrument gouvernera ce qui est sur la terre et tout le reste. » C'est ainsi, dit Hermès, que je parlai à Mômos, et déjà l'instrument agissait. Aussitôt après les âmes furent incorporées, et je fus loué pour mon œuvre.
Et le monarque convoqua de nouveau l'assemblée des Dieux. Ils se réunirent et il leur parla ainsi : « Dieux qui avez reçu une nature souveraine et impérissable, et la direction de la grande éternité, vous dont la fonction est de maintenir à jamais l'harmonie mutuelle des choses, jusqu'à quand gouvernerons-nous un empire inconnu? Jusqu'à quand ces choses seront-elles invisibles au soleil et à la lune? Que chacun de nous travaille pour sa part à la création.
Effaçons par notre pouvoir cette cohésion inerte. Que Le chaos devienne une fable incroyable pour la postérité. Commencez les grandes œuvres, je vous dirigerai. »
Il dit, et aussitôt l'unité cosmique, encore obscure, fut divisée, et dans les hauteurs apparut le ciel avec tous ses mystères. La terre, encore instable, s'affermit sous la lumière du soleil et apparut avec tous les riches ornements qui l'enveloppent. Car tout est beau aux yeux de Dieu, même ce qui semble laid aux mortels, parce que tout est fait d'après les lois de Dieu. Et Dieu se réjouit en voyant ses œuvres en mouvement, et saisissant à pleines mains les trésors de la nature : « Reçois-les, dit-il, ô terre sacrée, reçois-les, ô vénérable qui vas être la mère de toutes choses, et que rien ne te manque désormais! » Il dit, et ouvrant ses mains divines, il répandit dans le réservoir universel tous ses trésors. Mais ils étaient encore inconnus; car les âmes, nouvellement enchaînées et ne supportant pas leur opprobre, voulaient rivaliser avec les Dieux célestes, et fières de leur noble origine, se vantant d'avoir Je même créateur qu'eux, se révoltaient, et prenant les hommes pour instruments, les opposaient les uns aux autres et suscitaient des guerres intestines. Et ainsi, la force opprimant la faiblesse, les forts brûlaient et massacraient les faibles, et les vivants et les morts étaient précipités des lieux sacrés.
Alors les éléments résolurent de se plaindre devant le monarque de l'état sauvage des hommes. Et le mal étant déjà très grand, les éléments s'avancèrent vers le Dieu créateur et se plaignirent en ces termes;[10] le Feu fut admis à parler le premier : « Ο maître, dit-il, ouvrier de ce monde nouveau, toi dont le nom mystérieux parmi les Dieux a été jusqu'ici vénérable pour tous les hommes, jusques à quand, ô Démon, as-tu décidé de laisser la vie humaine sans Dieu? Révèle-toi au monde qui t'appelle, corrige la vie sauvage par l'initiation de la paix. Accorde à la vie des lois, accorde à la nuit des oracles, remplis tout d'heureuses espérances; que les hommes redoutent le jugement des Dieux, et nul ne péchera plus. Que les crimes reçoivent leur juste punition, et on s'abstiendra de Tin-justice. On craindra de violer les serments, et la folie aura un terme. Enseigne-leur la reconnaissance des bienfaits, afin que je fournisse ma flamme aux libations et aux sacrifices, et que de l'autel montent vers toi des fumées odorantes. Car maintenant je suis souillé, ô maître, et la témérité impie des hommes me contraint à brûler les chairs. Ils ne veulent pas me laisser dans ma nature, ils altèrent et corrompent ma pureté. »
L'air dit à son tour : « Je suis corrompu par les exhalaisons des cadavres, ô maître, je deviens pestilentiel et insalubre, et je contemple d'en haut des choses que je ne devrais pas voir. » L'eau reçut ensuite la parole, ô mon fils magnanime, et paria ainsi : « O père, créateur merveilleux de toutes choses, Démon incréé, auteur de la nature qui engendre tout par toi, ordonne aux eaux des fleuves d'être toujours pures; car aujourd'hui les fleuves et les mers lavent les meurtriers et reçoivent les victimes. »
La terre parut enfin, ô mon glorieux fils, et parla ainsi : « Ο roi, chef des chœurs célestes et seigneur des orbites, maître et père des éléments qui font tout grandir et tout décroître, et dans lesquels tout doit rentrer, la foule impie et insensée des hommes me couvre, ô vénérable; car je suis, par tes ordres, le siège de tous les êtres, je les porte tous et reçois en moi tout ce qui est tué. Tel est maintenant mon opprobre. Ton monde terrestre qui contient tout est privé de Dieu. Comme ils n'ont aucun sujet de crainte, ils transgressent toutes les lois et font passer sur mes épaules toutes sortes d'œuvres mauvaises. En moi rentre pour ma hou te, ô seigneur, tout ce que produit la pourriture des corps. Moi qui reçois tout, je voudrais aussi recevoir Dieu. Accorde cette grâce à la terre, et si tu ne viens pas toi-même, car je ne puis te contenir, qu'il me vienne du moins un saint effluve de toi. Que la terre devienne le plus glorieux des éléments, et puisqu'elle seule donne tout à tous, qu'elle puisse s'honorer d'avoir reçu tes dons. »
Ainsi parlèrent les éléments, et Dieu, remplissant l'univers de sa voix sainte : « Allez, dit-il, enfants sacrés, dignes de la grandeur paternelle, n'essayez pas de rien innover, ne refusez pas à ma création votre ministère. Je vous enverrai un effluve de moi-même, un être pur qui inspectera tous les actes, qui sera le juge incorruptible et redoutable des vivants; la justice souveraine s'étendra jusque sous la terre, et chaque homme recevra ainsi la récompense méritée.» Et ainsi les éléments mirent un terme à leurs plaintes et chacun d'eux reprit ses fonctions et son empire.
— Et ensuite, ô ma mère, dit Hôros, comment la terre a-t-elle obtenu cet effluve de Dieu? — Je ne raconterai pas cette naissance, dit Isis; je ne dois pas, ô puissant Hôros, exposer l'origine de ta race, de peur que les hommes ne connaissent dans l'avenir la génération des Dieux. Je dirai seulement que le Dieu souverain, le créateur et l'artiste du monde, lui accorda enfin, pour un temps, ton père Osiris et la grande Déesse Isis, pour apporter les secours attendus. Par eux la vie atteignit sa plénitude, les guerres sauvages et meurtrières eurent un terme; ils consacrèrent des temples aux Dieux leurs ancêtres et instituèrent des sacrifices. Ils donnèrent aux mortels la loi, la nourriture et le vêtement. Ils liront, dit Hermès, mes écrits mystérieux, et, en faisant deux parts, garderont les uns et graveront sur des colonnes et des obélisques ceux qui peuvent être utiles aux hommes. Instituteurs des premiers tribunaux, ils ont fait régner partout l'ordre et la justice. A eux se rattache la foi des traités et l'introduction dans la vie humaine de la grande religion du serment. Ils ont enseigné comment on doit ensevelir ceux qui ont cessé de vivre Ils ont interrogé les horreurs de la mort; ils ont reconnu que le souffle du dehors aime à revenir dans les corps humains, et si la voie du retour lui est fermée, il produit une défaillance de la vie. Instruits par Hermès, ils écrivirent sur des colonnes cachées que l'air est rempli de démons. Instruits par Hermès des lois secrètes de Dieu, eux seuls ont été les précepteurs et les législateurs des hommes et leur ont enseigné les arts, les sciences et les bienfaits de la vie policée. Instruits par Hermès des liens sympathiques que le créateur a établis entre le ciel et la terre, ils ont institué les représentations religieuses des mystères célestes. Considérant la nature corruptible de tous les corps, ils ont créé l’initiation prophétique, afin que le prophète qui va élever ses mains vers les Dieux fût instruit sur toutes choses, afin que la philosophie et la magie servissent à la nourriture de l'âme, et que la médecine guérît les souffrances du corps.
Ayant accompli toutes ces choses, ô mon fils, et voyant le monde arrivé à sa plénitude, Osiris et moi nous fûmes rappelés par les habitants du ciel. Mais nous ne pouvions y revenir sans avoir évoqué le monarque, afin que cette vision remplît l'espace et que s'ouvrît pour nous la voie heureuse de l'ascension, car Dieu aime les hymnes. — Ο ma mère, dit Hôros, apprends-moi cet hymne, afin que moi aussi j'en sois instruit. — Écoute, mon fils, dit Isis......
 


09/11/2012
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